Dans un arrêt rendu le 5 octobre 2023, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a jugé que la jurisprudence administrative française sur les biens de retour des délégations de service public ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans la jouissance du droit au respect des biens tel que protégé par l’article 1 du protocole 1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH).
Pour rappel, il ressort de la jurisprudence « Commune de Douai » (CE, 21 décembre 2012, n° 342788, Rec.), codifiée aux articles L. 3132-4 et L. 3132-5 du Code de la commande publique, que les biens qui résultent d‘investissements du concessionnaire et qui sont nécessaires au fonctionnement du service public concédé font obligatoirement leur retour dans le patrimoine de l’autorité concédante au terme de la concession, autorité concédante à laquelle ils sont réputés appartenir ab initio. Ce retour s’opère à titre gratuit, sauf si les biens en question n’ont pas été amortis, auquel cas ils font l’objet d’une indemnisation.
Ces principes ont été étendus aux hypothèses dans lesquelles les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartenaient au concessionnaire avant la passation de la concession (CE, 29 juin 2018, Communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, n° 402251, Rec.). Pour la Haute juridiction administrative, « en acceptant de conclure la convention », la SARL Couttolenc Frères a nécessairement accepté d’affecter ses biens au fonctionnement du service public concédé. Aussi, à l’issue de la concession, ceux de ces biens qui sont nécessaires à la continuité dudit service sont automatiquement transférés à l’intercommunalité concédante. En tout état de cause, la valeur de cet apport doit être prise en compte dans le cadre de l’économie générale de la concession, ou bien faire l’objet d’une indemnisation.
Les principes précités s’appliquent également aux cas où les biens ont été réalisés par le délégataire sur un terrain propriété d’une personne privée, et alors même que « le contrat prévoyait que la société ferait son affaire des opérations immobilières ». C’est ce qu’a pu juger le Conseil d’Etat s’agissant de l’ensemble immobilier formé par l’hôtel, le restaurant et le casino exploités par la société Touristique de la Trinité dans le cadre d’une délégation de service public (CE, 23 janvier 2020, Commune de la Trinité-sur-Mer, n° 426421).
Dans ces deux affaires, les sociétés déboutées avaient soulevé le grief tiré d’une atteinte à leur droit de propriété. Elles ont donc, par suite, saisi la CEDH en invoquant une violation de l’article 1 du protocole n°1 de la CESDH. Pour mémoire, celui-ci dispose que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ».
Répondant à la requête formée par la SARL Couttolenc Frères, la CEDH va conclure que l’ingérence induite par cet état du droit n’est pas disproportionnée au regard du but poursuivi et que, partant, il n’y pas eu violation du protocole invoqué.
Pour ce faire, la Cour s’est notamment appuyée sur « l’importance du but légitime poursuivi », c’est-à-dire la continuité du service public, laquelle « relève sans conteste de l’intérêt public ». Elle a également pris en compte la circonstance que « la société requérante a pu exploiter commercialement les équipements litigieux durant plus de vingt-huit ans », de sorte « qu’on ne saurait considérer qu’elle a supporté une charge spéciale et exorbitante du seul fait qu’elle n’a pas pu obtenir le paiement d’une somme correspondant à la valeur vénale des biens transférés ».
Cette décision vient donc conforter une règle qui, depuis un récent arrêt du Conseil d’Etat, a un caractère d’ordre public, ce qui empêche les contrats de prévoir des stipulations faisant obstacle au retour gratuit des biens concernés (CE, 16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904, Rec.).
Ainsi, si la requête formée par la société Touristique de la Trinité est toujours pendante devant la CEDH (n° 41609/20), on peut raisonnablement considérer, à l’aune de cette décision, que les principes dégagés par le juge administratif autour de cette notion de « biens de retour » et leur champ d’application ne sauraient être inquiétés outre mesure par des griefs tirés de la méconnaissance du droit de propriété des concessionnaires sortant.